Avec huit sorties en cinq ans, Satamile Rec. s'est imposé comme l'une des références absolues en matière d'electro underground. Les artistes Decal, Airlocktronicks, Sillicon Scally ou encore EMS ont en effet fourni à ce label new-yorkais de quoi forger sa forte personnalité. Mais pas seulement. Avec à sa tête un DJ, promoteur et patron aussi excentrique qu'Andrew A Price, Satamile n'a pas fini de nous surprendre.
- Atome : Comment se porte Satamile aujourd'hui ? Quelles réactions dans le monde suscite le label ?
- Andrew A Price : Le label va bien et a survécu au fiasco du onze septembre. EMS (Electro. Music. Specialist) a failli y passer, il était dans le dernier train sous le World Trade Center et s'est sauvé de justesse. J'étais à trois pâtés de maison de la tour Nord quand elle s'est effondrée. Pas mal de commerces ont coulé mais nous sommes toujours là, plus en forme que jamais. EMS va sortir un nouveau maxi prochainement et nous sommes en train de represser le Satamile 03, un vinyle de sa marque de fabrication bien en avance sur son temps. Les réactions ont toujours été positives vis à vis du label. Le public semble apprécier le fait que nous mettions en avant une electro destinée à être jouée dans des warehouses underground. Un gros son, pour de grosses salles. Je ne suis pas trop attiré par l'electro bleepy qui sonne comme les musiques des années fin 80 début 90. John Peel a joué nos productions sur Radio One en Angleterre et a paru bien accrocher, j'ai pris cela comme une sorte de compliment pour le label et pour moi. C'est un DJ incroyable.
- A. : Quelle est la ligne directrice de Satamile ? Comment décrierais-tu le son du label ?
- A. A P. : Je dirais que s'il n'y avait pas un potentiel au niveau des basses et s'il n'y avait pas de tonalités chaotiques inspirantes dans les productions, je ne serais pas intéressé. Je sors des disques destinés à des gens qui cherchent à perdre sainement leur esprit pendant un certain laps de temps. Une musique qui défie les normes culturelles et qui invite à danser. Nous ne nous dissimulons pas derrière un pseudo coté rétro ou loungey. Je recherche des titres puissants, ayant beaucoup d'énergie, qui prennent les meilleurs éléments du passé et qui proposent quelque chose de différent, tourné pour le futur. Au niveau du tempo, les productions tournent autour de 135 bpm au minimum.
- A. : Quelle est ta définition de l'underground ? Je veux dire que Satamile est musicalement underground et que tu sembles être toi-même assez discret. Ca fait partie de ta manière de vivre ?
- A. A P. : L'underground, c'est un espace à créer, à entretenir et à nourrir par ceux qui ne se sentent pas à l'aise dans la société actuelle. En ce qui nous concerne, c'est repousser les frontières, amener la culture musicale vers des horizons plus intéressants et plus fascinants. Si ce genre était joué en radio, ce serait ennuyeux à mourir, excepté pour les usuels pilleurs de musique. Quand un titre est prévisible ou reconnaissable dès les premières secondes, il devient banal. Surprenant, novateur, qui sublime le subconscient, voilà comment je conçois l'underground. Les gens qui préméditent ou calculent leurs efforts artistiques et musicaux produisent toujours des choses ennuyeuses. Satamile est un label underground dédié uniquement à ceux qui apprécient son type de sonorités, il ne s'adresse pas aux autres. Je ne peux te traduire mon excitation lorsqu'un jeune, un peu en marge de cette vie, accoure pour me remercier du fond de son coeur parce que l'on a sorti tel ou tel disque. Je peux sentir que ça lui a rendu sa vie un peu meilleure. Ca fait partie de mes racines aussi. Un peu désabusé dans un monde prévisible, à écouter des tonnes de musiques à la recherche d'un monde meilleur. Le label en lui-même est discret par nature. Même si dès 95 nous produisions une musique electro d'excellente facture, les distributeurs avaient pris l'habitude de me demander quel pouvait être le marché pour ce genre de musique. Aujourd'hui, l'electro et la communauté electro ont touché avec plus ou moins de réussite un plus grand nombre de médias et nos distributeurs se sont développés.
- A. : En tant que patron de label, rencontres-tu des difficultés à mettre en avant ce genre musical ? Est-il dur de développer et vendre cette musique, en particulier à New York ? As-tu encore du mal à expliquer ce que tu fais ?
- A. A P. : Comme je l'ai dit plus haut, nous avons passé une période compliquée à essayer de vendre ce que je considérais comme d'excellents disques. La principale difficulté était de les exporter en dehors de New York et d'atteindre l'Europe où le public est en général plus réceptif et plus accueillant à l'égard de ce que nous faisons. Excepté de la part de quelques puristes electro et malgré nos efforts, nous n'avons eu que peu de reconnaissance et d'écho à New York et sur l'ensemble des Etats-Unis. Les médias sont totalement contrôlés par le dollar de sorte que comme je n'ai jamais mis un sou, nous n'avions aucune chance d'entendre parler de Satamile, à moins de faire sérieusement partie du mouvement techno. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus facile, je suppose que les distributeurs ont saisi à peu près ce que nous essayons de faire ou ils ont compris qu'ils pouvaient gagner de l'argent en vendant de l'electro, je crois d'ailleurs que c'est ce qui les motive. C'est triste de voir un pays comme les Etats-Unis si fermé et si peu enclin à soutenir nos efforts. De nombreux labels n'ont pas survécu à New York, aux Etats Unis, du fait que les distributeurs ne comprenaient pas le marché et portaient des oeillères. Je suis très reconnaissant du soutien et de l'intérêt que l'Europe a témoigné à l'égard de mon label, contrairement à mon pays.
- A. : Pourrais-tu te présenter un peu plus ? Quand et comment as-tu découvert la musique électronique ? Pourquoi avoir choisi l'electro comme moyen d'expression et comment expliques-tu ton attachement à cette musique ?
- A. A P. : J'ai découvert la musique electro au début des années 80 avec Kraftwerk et d'autres groupes pop précurseurs qui utilisaient des synthés. Plus tard, vers 1988, j'ai évolué vers des cassettes de bruits, j'adorais me balader dans les rues de Los Angeles avec des sons apocalyptiques, je trouvais ça excitant. C'était bien avant notre politique isolationniste. La réponse à la seconde partie de ta question est à resituer vers 1994, lorsqu'un pôte, Kollin (étrange non ?) a ouvert un magasin electro-techno-ambient à l'Est de New York. J'ai joué en tant que DJ dans cette boutique pendant cinq ans, nous achetions et nous diffusions pas mal d'electro. Nous adorions ces sons gras avec de gros breaks, nous étions dans notre période synthés, modulateurs. Ca passait bien, ça nous faisait marrer d'effrayer les passants dans la rue avec cette electro trippante. C'était et c'est toujours notre style. Le Satamile 02 représente d'ailleurs parfaitement cette période. La bonne electro te procure un sentiment incroyable, saoule les flics, en particulier quand ils essayent de faire taire un soundsystem dans une soirée. Le coté Est de New York était toujours aussi rude, EMS vivait au-dessus de la boutique et peaufinait ses synthés et ses drums machines. En parlant de lui, j'adore faire des blagues sur la manière dont Steven vide les poubelles car ce type a crée littéralement son propre vocoder, son modulateur et ses machines hybrides en récupérant des parties de matériel électrique trouvé dans des bennes à ordures. Les sonorités des Satamile 02 et 03 ont été produites à partir de transistors radios ramenés comme ça. Un jour, Steven en a récupéré un et le montrant entre ses mains, avec un large sourire, il a nous dit " eh, c'est comme s'il était neuf ". Nous avons souvent été très impressionnés par ses compétences.
- A. : Quel est ton background ? Quels sont tes maîtres à jouer ?
- A. A P. : J'ai eu un prof' de musique italien un peu timbré qui avait coutume de rougir rapidement, de crier, de sauter dans tous les sens et de m'accuser de prendre ses cours à la légère, ce qui était vrai d'ailleurs. Ce n'est pas le coté le plus positif de mon background. Eric Satie est le premier à me venir à l'esprit. Je m'identifie clairement à lui. C'était un individu totalement excentrique, tout moi !
- A. : Quel est l'artiste avec lequel tu rêverais de travailler ? Quel est selon toi l'artiste au top en matière d'electro, celui qui t'impressionne le plus ?
- A. A P. : C'est une question difficile mais le premier à mon avis serait Saul Kane. J'aurais adoré bosser avec lui. Après, il y a pas mal de gens : Decal, Larry McCormick, Radioactive Man, Bolz Bolz et bien d'autres afin d'amener l'electro dans une nouvelle direction. De manière générale, je n'ai pas de leader, on en a déjà un assez stupide comme ça (Georgie) et je suis plus attaché aux gens qu'à une seule personne.
- A. : Composes-tu, es-tu musicien toi-même, voire même artiste ?
- A. A P. : Oui, on peut appeler ça comme ça. Je suis allé à l'école de Cal-Arts à Los Angeles suivre des cours pour passer ma licence de beaux arts. Le monde de l'Art est ennuyeux, c'est pourquoi j'ai été impliqué dans la scène techno au début des années 90 à New York. Oui, je compose, j'ai sorti plusieurs disques, je me suis produit en live plus d'une fois. Je bosse toujours sur des nouveaux titres.
- A. : Il y a quelques mois, tu as organisé une superbe soirée avec parmi d'autres Exzakt. En tant qu'organisateur, comment décrierais-tu la scène electro new-yorkaise ?
- A. A P. : Je suis l'un des derniers DJs / producteurs à NY, j'ai produis quelques 200 événements techno underground dans cette ville. Il y a cinq ans, la scène était encore rattachée au mouvement techno - rave. Aujourd'hui, elle est totalement indépendante. Ces deux dernières années, le mouvement electro s'est développé avec pas moins d'une soirée par mois. Ces soirées n'étaient pas toujours bonnes mais elles avaient le mérite d'exister et c'est juste récompense de dire que les choses ont changé à NY. Larry a joué à l'une des soirées hebdomadaires que j'ai lancées depuis 1995. J'avais diffusé son logo sous forme de diapos dans tout l'endroit et j'ai fait une campagne de presse pour son label. Les soirées Static ont toujours donné leur chance aux DJs extra new-yorkais de venir jouer dans cette ville et dans les meilleures conditions possibles. Je privilégie le plan relationnel, j'aime rendre visite à l'artiste par exemple, je trouve que ça améliore les rapports. La plupart du temps, ces artistes sont inconnus ici, ce sont de grands producteurs et méritent le temps qu'on leur accorde. Les agences de booking ont trop souvent tendance à baisser la qualité du service, faire venir quelqu'un ou faire un autre job pour elles c'est du pareil au même. Le 10 mai, j'ai monté un gros plateau avec Andy Weatherall, Radioactive Man live, Mark Broom, Bolz Bolz, Tommy Sunshine, Sara Walker, Prozac, Mix Master Morris et quinze autres artistes le tout dans un espace assez impressionnant. A 75% de l'Electro Bass qui déchire. STATIC a aussi ses résidents, Satamile, Sara Walker aka Doomer, DJ Prozac et Coin-Operated. Ce sont d'excellents Djs. Je me souviens avoir une fois booké Keith Tucker. Après le spectacle, il m'a dit que j'avais été la première personne aux Etats-Unis à l'avoir fait jouer en dehors de Detroit. Il était venu sans compter en Europe mais n'avait jamais encore joué ailleurs qu'à Detroit dans son propre pays. Adult ont fait leur première apparition avec nous à NY, en 1998, ils avaient drainé 125 personnes alors que leur dernière performance au Moscow Ballroom il y a un mois en a fait venir un millier. Bon nombre de gens ont soutenu cette soirée et l'ont rendu possible.
- A. : Quelles sont les prochaines sorties de Satamile prévues cette année ? A quoi devons-nous nous attendre ?
- A. A P. : Préparez-vous à un grand Scape One dans le plus pur esprit Satamile. EMS termine son prochain maxi dont je suis très satisfait. Ensuite il y aura un nouvel artiste de NY que personne n'a jamais entendu hormis moi et qui promet des merveilles. Une série de remixes est en préparation par de grands spécialistes du break. L'ouverture de notre site web a été reportée, due aux complications du 11 septembre mais il devrait voir le jour très bientôt maintenant. www.satamile.com Nexus 6, 05/08/2002
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